Deux expositions pour une institution
- Marlène
- 19 mai 2016
- 7 min de lecture
[Toulon] C'est une double-exposition que nous propose actuellement l’Hôtel des Arts. Essentiellement consacrées à la vidéo, Asile et Animal & Cie exposent des jeunes artistes tous issus de la sélection d’Arte Vidéo Night, qui sélectionnent et valorisent le travail de jeunes artistes et d’artistes confirmés dans cette forme artistique juvénile. Une exposition déroutante-car l’art vidéo se collectionne et ne s'expose que depuis quelques années- mais riche de sens et inspirante. L’exposition est divisée en deux parties : au rez-de-chaussée, une exposition collective de jeunes vidéastes tandis que le 1er étage est occupé par l’artiste français Moussa Sarr (1984).

Tous utilisent l’animal comme moyen allégorique pour véhiculer leurs idées, leurs combats , se permettre des connexions métaphoriques vers notre société actuelle. L’animal est le révélateur des sentiments humains. Tous inventent des petites fables en lien avec des thèmes d’actualité : l’exil, l’immigration, la violence de notre société…Beaucoup de poésie, de drame et de liberté transparaissent dans ces courtes histoires : « En introduisant le mouvement, la couleur et le son, les vidéastes inventent ainsi les nouvelles fables du XXIe siècle ». Ainsi, le rôle de l’artiste n’est pas neutre et l'Hôtel des Arts regroupe ces différents points de vue. Des regards multiples et des créations originales vous y attendent.
Animal & Cie
Les salles du rez-de-chaussée sont investies de jeunes vidéastes issus de la scène artistique internationale.

Glucose, en duo avec le roumain Mihai Grecu (1984) et le français Thibault Gleize (1977) montre un univers improbable, en l’occurrence des poissons hors de leur bocal! Pourtant, ils nous interrogent sur cette probabilité et cette incohérence perturbatrice qui plombent nos schémas préformatés.

L’irakien Adel Abidin (1973) présente Memorial, une vidéo nous interrogeant sur la pérennité de l’épreuve.

Passionnée par le monde naturel, la finlandaise Sanna Kannisto (1974) filme des grenouilles, dans le fond blanc épurée de son atelier. L’artiste nous montre le chat d’amour des grenouilles mâles « qui a pour but de séduire les femelles mais également d’empêcher les autres mâles d’envahir leur territoire ». Un voyeurisme étrange, à la fois gênant et humoristique.

L’anglaise Alice Anderson (1976) filme sa vie quotidienne comme un journal intime, où les pages figurent les courtes scènes qui se succèdent. Le voyage d’Alice au pays quotidien devient un ballet journalier au rythme de sa vie.

Le suisse Yves Netzammer (1970) montre, dans Furnitures of Proportions, un monde généré par la 3D. Ces images virtuelles, des singes sans âme, laissent une étrange sensation. Le monde est dépeint comme vide de sens, nous sommes des êtres contrôlés et contrôlables.


Fly or Die du français Martial Cherrier (1968) explore la renaissance, symbolisé par le papillon. Ancien champion de bodybuilding, sa vidéo, colorée et défilant rapidement, illustre son changement d’état –de sportif à artiste- en volant de ses propres ailes. Sa personne prend corps dans l’insecte. Telle la chrysalide devenant papillon, il suit sa transformation de performances à performeur.

Les chiens sont les héros de la vidéo Landlocked de l’argentin Miguel Angel Rios (1943). Le spectateur les suit à la recherche d’une autre voie. Creusant inlassablement leurs galeries, ressentant avec eux l’effort, l’envie de tout donner et de ne pas abandonner, ce film perturbe les sens et nous plonge dans la désolation que connaît tout réfugié. Le procédé filmique nous fait prendre la place-même de ces animaux. Mais pour qu’enfin, le film se termine sur une fin heureuse, une note d’espoir devant ce ciel clair qui fait place à la terre sombre.

La vidéo Blackmouth de l’américaine Chloé Piene (1972) peut choquer à plusieurs points. Dans la pénombre et sous les cris animaliers rugissant, « des images diffusées au ralenti, déformant la voix du personnage et augmentant la ressemblance avec le cri d’une bête », cette femme boueuse entre détresse et transe, folie et fureur, s’incarne comme l’allégorie d’un monde humano-animalier en désolation. Difficile de croire en une once d’espoir quand la vidéo s’achève avec le corps qui retombe, accompagné d’un son lourd, à la fois de sens, comme une condamnation irrévocable.
Asile
Ce titre évoque « le refuge d’une victime en fuite et un centre d’internement pour aliénés ou malades ». Soumission, exaltation, arrogance, vindicte…Exposé au 1er étage de l’institution, les vidéos de Moussa Sarr se veulent être des « fables contemporaines sur les comportements de l’homme ». Pour se faire, l'artiste revêt le comportement des animaux : canard, singes, insectes…Son langage devient une onomatopée animalière mais son vocabulaire verbal est largement explicite : homme-animal, nous nous ressemblons et cette proximité-promiscuité donne à l’artiste la possibilité de transgresser des règles de bienséance pour se révolter, accuser et s’indigner.

Né à Ajaccio en 1984, cet ancien élève de l’École Supérieure des Beaux-Arts de Toulon se voit aujourd’hui honorer d’une commande de l’Hôtel des Arts. Les œuvres exposées sont différentes de l’exposition qui vient de se terminer à Nice –Corpus Delicti à la Galerie de la Marine. Dans ces vidéos, le jeune performeur se donne à fond. « Il y a un travail dans la performance où l’on habite l’animal et l’animal nous possède. Ce n’est pas une simple mimique, c’est un vrai travail d’appropriation de la gestuelle et des expressions. Il faut s’accorder avec l’animal » précise l'artiste. Ce travail, qu'il réalise dans son atelier, est ensuite filmé d’une seule séquence, caméra frontale. Il met à mal les comportements humains.


Quelques photographies ponctuent l’œuvre filmique. Posture interroge l’être dans ses idéaux, laissant apparaît sa notion contraire d’imposture et nous interroge sur le discours, « la position » que les élites nous donnent.


Quant à la série noire et blanc d’ Invisible Man,
Moussa tente de disparaître pour échapper à son bourreau, sans y arriver malheureusement. Difficile de nos jours de disparaître dans un monde où notre identité, personnelle et numérique est en danger.
Dans la vidéo Duckman, Moussa utilise l’ironie et le langage canard pour nous expliquer l’art. Qu’est-ce que l’art ? Défaisant les codes du ce marché et de la réception des œuvres, il interroge le spectateur, jusqu’à le prendre de haut en ayant la sensation lui-même qu’il nous interroge : « Avez-vous compris ? Non ? Bon, j’me casse !"


Ultra-convaicant dans cette vidéo risible aux premiers abords, mais où dénote un extraordinaire talent de performeur, Duckman « nous explique la vie. Il nous dit tout sur tout car il a réponse à tout ». Il se tient en gros plan, face à nous, dans une attitude transgressive. Les paroles qu'on nous assène sont remises en question. Le travail préparatoire de cette vidéo –gestuelles, paroles- est vraiment excellente.


Dans Super Congo, il devient le chimpanzé Congo, peintre célèbre du Zoo de Londres qui vit ses œuvres exposées dans le monde entier. Quand un artiste se met dans la peau d’un autre artiste, animal de surcroît, cela aboutit à une interrogation insolvable : « Si un primate peut peindre comme un homme, un homme peut-il peindre comme un singe »? Aux murs sont exposées les œuvres du peintre Moussa-Congo. Au spectateur de juger de la recevabilité artistique de ces toiles !

La vidéo Le nouveau-nez pourrait rejoindre de manière allégorique la douce quiétude que connaît le fœtus bercé dans le ventre de sa mère et qui se retrouve expulsé dans le monde des adultes. Une vidéo générant un sentiment de mal-être.
S'imprégner du comportement des animaux est une voie dans laquelle excelle Moussa Sarr. Il n'y a qu'à regarder les vidéos The Bumblebbe, The Fly et The Mosquito. L'artiste devient tour à tour un bourdon, une mouche et un moustique. Imitant la gestuelle des insectes et leurs sons aigüs et stridents, leurs personnalités cyniques et incontrôlables évoquent un monde humain où chacun veut s’imposer sans écouter son prochain. Une salle au vacarme étourdissant !


La dernière vidéo Duo de chats m’a médusé. Le travail est énorme dans la construction et l’ordonnancement cette sombre saynète. Plongé dans le noir, vous êtes invités à regarder une vidéo aux tonalités noires et blanches très accentuées-une première violence d'ordre visuelle. Le casque est à votre disposition pour écouter la bande-son accompagnant les images. Cette production est inspirée du « Duo de chats » du compositeur italien Gioacchino Rossini (1792-1868), qui est un duo d’amour entre deux chats, exprimé à travers toute la subtilité du miaulement. Ici, le chat Moussa est seul… Attaqué et blessé dans l’indifférence, sans aucune intervention extérieure, ce chat apeuré souffre puis disparaît. Nous voyons le corps recroquevillé, seul son dos est visible. Le chat se prend dès lors des coups. L’action est autant visuelle que sonore, vous pourriez deviner le déroulement de l’évènement simplement en écoutant la bande-son. Par l’intonation de son miaulement, on perçoit un appel à l’aide, une détresse perceptible. Puis la victime se rebiffe et la révolte devient acte de survie . L’artiste –chat se régénère et passe à l’offensive. Du chat violenté et en désarroi, il se réincarne en animal-féroce, prêt à se défendre, prêt à ne pas sombrer. La vidéo se termine par le repos du guerrier. C’est bien un duo car nous avons deux chats, deux personnalités, une exagération des couleurs qui écrase le yin et le yang pour devenir atrocité.

Un artiste à suivre
Dans ces vidéos de courte durée, le performeur soigne son discours visuel et sonore. Dans un flot de paroles animalières continues, Moussa Sarr construit une véritable rhétorique des gestes et des expressions. Nul besoin de la verbalité humaine pour faire naître une réflexion de l’individu sur le monde, ses peurs, ses attentes, ses ironies et ses incohérences. Chaque mise en scène est précise, organisée, esthétique, où l’homme devient animal. Caméra fixe en gros plan, corps plié en deux, agitation de tous ses membres…Pouvons-nous nous rendre compte de l’investissement dans ce travail ? Je crois que oui !
Surdoué de la scène artistique, Moussa déborde de talent et d’une force acharnée et livre une œuvre épatante. Des petites histoires illusoires, des fables modernes qui reflètent nos leurres. S’exposer est une crainte. S’exposer est une force. Quelle soit force de proposition ou de conviction, cette œuvre auto-créatrice n’a pas fini de nous stupéfier.
Au lecteur
Vous comprendrez qu'il est difficile de reproduire ici une vidéo, aussi, vous trouverez dans cette lecture, la capture d'écra de chacun des travaux des artistes. L'idéal, pour mieux apprécier leur travail, est donc d'aller voir leurs œuvres!
A voir jusqu'au 19 juin
Hôtel des Arts
236, Boulevard Maréchal Leclerc
83000 Toulon
Ouvert du mardi au dimanche, de 10h à 18h.
Entrée libre
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